FAQ

Quelques réponses à diverses questions revenant souvent en salons, dédicace ou sur le net, et permettant peut-être aussi d’éclairer le métier d’auteur et sa réalité, très différente de l’idée que l’on peut s’en faire parfois. Virgul, un chat décidément plein de ressources, a accepté de synthétiser tout cela et d’interroger son ami écrivain.

Virgul, un chat décidément plein de ressources, a accepté de synthétiser tout cela et d’interroger son ami écrivain.

Chat Virgul

Le Sang des Héros (roman)

Le Sang des Héros fait-il partie d’un cycle ou est-ce un roman unique ?

Il s’agit d’une histoire complète, avec une réelle conclusion. Cependant, j’ai développé une intrigue se déroulant dans le même univers et revenant sur le parcours d’un personnage secondaire qui est mentionné plusieurs fois dans LSDH. Mais, ne souhaitant pas m'enfermer dans la thématique des super-pouvoirs, j'ai mis ça de côté pour le moment. Qui sait si j'y reviendrai par la suite ? Pour le moment, j'ai d'autres projets bien différents en tête.

Pourquoi l'intrigue du Sang des Héros se déroule-t-elle aux États-Unis ?

Il me semblait qu'une super-puissance était le cadre idéal pour un roman traitant du thème du pouvoir sous toutes ses formes. De plus, cela m'a permis de faire allusion à des hommes de pouvoir (JFK ou Jefferson Davis) ayant connu un destin tragique chacun à leur manière, ce qui là encore correspond bien au ton du récit, dans lequel les pouvoirs ont souvent des conséquences dramatiques. Enfin, les États-Unis restent le berceau des super-héros et un lieu de ce fait privilégié pour écrire cette variation réaliste sur ce thème si américain dans l'âme. Je signale d'ailleurs que les noms des personnages sont des variations de noms d'auteurs de comics.

L'Ombre de Doreckam (roman)

Comment t’est venue l’idée de ce nouveau roman ?

Tout part de Rodemack, un village mosellan entouré de remparts et de vestiges médiévaux. Je vais souvent me promener dans ce coin, et l'idée d'en faire le décor de l'un de mes récits s'est imposée rapidement. Il a fallu ensuite réfléchir à ce que je voulais raconter exactement, aux personnages, aux différents thèmes. Ce fut un long mais passionnant jeu de construction.

L’action se déroule donc en Moselle, dans un coin que tu connais bien, tu avais envie de revenir à un cadre plus "local" après Le Sang des Héros ?

Oui, si Le Sang des Héros se déroulait aux États-Unis, c'était pour des raisons bien précises. Cela m'avait d'ailleurs demandé un gros travail de documentation (même si je n'ai évidemment pas tout utilisé, loin de là). Pour L'Ombre de Doreckam, je souhaitais donc tout naturellement prendre pour cadre non seulement la France, mais la région que je connais le mieux. Pas uniquement pour me faciliter la tâche, mais parce que l'aspect très nostalgique de certaines scènes l'exigeait.

Quelles sont les thématiques qui sous-tendent ce récit ?

Il y a deux thématiques que je qualifierais d'évidentes et fortes : le pouvoir des livres et l'aspect dévastateur du temps. Elles sont déclinées de diverses manières, plus ou moins évidentes ou cachées. Au-delà de ça, ce roman évoque aussi, comme souvent dans mes récits, la force des rapports humains et le côté néfaste de toute organisation sociale. Mais il faut plonger bien entre les lignes pour arriver jusque-là. Comme toujours, je privilégie l'intrigue et les personnages. Le lecteur doit avant tout passer un bon moment, être secoué par des émotions diverses. S'il a envie de réfléchir un peu, les pistes sont là, mais il n'est nullement obligé de les suivre. Et surtout, il n'y a pas de conclusion imposée. J'ai horreur de ces auteurs qui pensent délivrer un "message" en enfonçant des portes largement ouvertes.

Tu as évoqué une possible "bande originale" pour ce roman... peux-tu nous en dire plus sur ce projet ?

L'idée peut sembler étrange mais elle me trottait dans la tête depuis très longtemps. J'avais envie, en complément de ce roman, de proposer aux lecteurs une autre vision, musicale, de la même histoire. Donc, une sorte de bande originale pour faire le parallèle avec le cinéma. J'ai parlé de cette idée avec Manu Bonnet, l'un de mes amis qui est bassiste, compositeur et leader du groupe Logical Tears. Il a lu le manuscrit et... a accepté de s'embarquer dans ce projet un peu dingue. Il a d'ailleurs fait un taf incroyable. Il a su notamment créer des ambiances qui collent parfaitement avec l'atmosphère du roman. Malheureusement, le groupe s'est séparé avant que l'album ne soit terminé. Du coup, il ne verra probablement pas le jour. Il nous reste quelques textes et des enregistrements plutôt sympathiques de pré-versions non mixées. Il arrive parfois que les étoiles ne soient pas parfaitement alignées et qu'un projet capote à cause de grains de sable qui finissent par gripper toute la machine. Mais j'ai d'autres projets en cours avec Manu, c'est quelqu'un que je connais depuis maintenant quelques années, avec qui le courant est tout de suite passé. C'est non seulement un grand artiste, mais aussi humainement quelqu'un pour qui j'ai un immense respect.

Niveau "happy end", on a l'impression que ce n'est pas vraiment ton truc... tu es en dépression ?

Haha... en fait, je ne suis pas contre les conclusions heureuses, mais jusqu'à présent, les histoires que j'ai écrites ne s'y prêtaient pas vraiment. Toutefois, même si L'Ombre de Doreckam conserve un fond plutôt tragique, ce roman s'avère, je crois, tout de même plus lumineux par certains aspects que Le Sang des Héros.

Les personnages semblent toujours très importants dans tes récits, c'est encore le cas ici.

Oui, ce sont pour moi des vecteurs d'affect, mais je vais développer cet aspect de l'écriture dans un long article sur UMAC. Pour faire court, disons que je veux que chaque protagoniste important soit épais, réel, crédible, nuancé. Les personnages sont au cœur de mes récits et ce sont eux qui embarquent le lecteur et le malmènent en le bombardant d'émotions fortes et contradictoires. Si, en lisant ce roman, les lecteurs, même ceux qui me connaissent, oublient que je suis en train d'orchestrer tout cela, alors je pense que j'ai atteint mon but.

Jour de Neige (recueil de nouvelles)

Pourquoi ce titre, "Jour de Neige" ? 

La neige est l'élément qui donne sa couleur à ce recueil. Immaculée ou déjà brunie par les activités humaines, elle sert de décor, d'élément déclencheur ou de simple métaphore, suivant les récits. Aucun rapport particulier avec la célèbre chanson d'Elsa (que j'aime pourtant beaucoup).

Les récits rassemblés dans cet ouvrage appartiennent-ils tous au même genre littéraire ?

Non, j'aborde ici des genres assez différents, allant du thriller teinté d'épouvante au polar humoristique, en passant par le drame historique ou la science-fiction pure. C'est assez varié, bien que l'ensemble possède une réelle cohérence interne.

S'agit-il de toutes les nouvelles que tu as écrites ces dernières années ?

Il s'agit d'une sélection de ce que je considère comme étant les meilleurs textes que j'aie pu écrire. Certains sont récents, d'autres plus anciens. Quelques-uns ont été primés ou ont déjà été publiés, mais je souhaitais les rassembler sous un bel écrin, en révisant parfois certaines nouvelles.

Chaque nouvelle bénéficie d'une illustration, est-ce que c'est un élément qui te tenait particulièrement à cœur ?

Cela permet de renforcer l'atmosphère de chaque récit et d'obtenir au final un bel objet. Ce sont Emmanuel Bonnet et Daniel Gattone, les fondateurs du label 2T2N, qui m'ont proposé d'ajouter des illustrations à ce recueil. J'ai évidemment sauté sur l'occasion ! Et le résultat est vraiment à la hauteur de ce que j'avais imaginé. Les dessins de Daniel, qui est parti sur un concept de cartes de tarot, sont superbes et je trouve l'illustration de couverture magnifique. C'est un grand artiste, je vous encourage à suivre son travail. 

Le recueil contient également une belle préface de Roland Habersetzer, expert en arts martiaux, fondateur du style Tengu et romancier également. C'est un peu surprenant, comment s'est-il retrouvé associé à ce projet ?

Maître Roland Habersetzer m'a en effet fait l'amitié et l'honneur de préfacer cet ouvrage. J'aime beaucoup à la fois sa philosophie, sa plume et son parcours. J'ai la chance, depuis quelques années, d'entretenir une correspondance avec ce grand monsieur dont l'humilité et la gentillesse sont à la hauteur de son talent et de son immense expérience. Il avait repris sur son site la nouvelle Blessures de Lame il y a quelque temps maintenant, en la commentant de façon très flatteuse. J'ai donc eu l'idée de lui demander de préfacer ce recueil, ce qu'il a accepté de faire après avoir lu l'ensemble des textes. Sa présence est très symbolique pour moi, je lisais déjà ses ouvrages alors que j'étais encore adolescent. J'étais loin d'imaginer alors qu'il commenterait un jour mon travail avec autant de bienveillance.

The Gutter (BD)

Y aura-t-il une suite à The Gutter ?

Ce n’est pas d’actualité pour le moment. Bien que Serge soit partant et que nous ayons l’accord de l’éditeur, je privilégie d’autres projets qui me prennent déjà énormément de temps, notamment l’écriture de romans, ce qui reste tout de même mon domaine de prédilection.
Lisant moins de comics que par le passé, j’ai également moins de "matière" et ne me lancerai pas dans la conception d’un deuxième tome si j’estime sa qualité insuffisante par rapport au premier.

Faut-il demander une autorisation pour utiliser des personnages sous licence, comme ceux de Marvel et DC ?

Une question qui revient très souvent, même certains auteurs et éditeurs ignorent d’ailleurs tout du cadre légal qui réglemente la parodie et l’usage de personnages dont on ne détient pas les droits.
Non, en réalité aucune autorisation n’est nécessaire, en tout cas pas dans le cadre d’une parodie qui constitue une exception légale au droit d’auteur.
Il est cependant nécessaire de respecter quelques principes : le but doit clairement être humoristique, il ne doit pas y avoir risque de confusion avec l’œuvre originale, et enfin, la parodie ne doit pas porter préjudice à l’auteur de l’œuvre originale.

Combien de temps faut-il pour réaliser une BD comme The Gutter ?

Lorsque Serge est arrivé sur le projet, nous avons mis environ un an pour le finaliser. Le travail d’écriture avait débuté bien avant et il a été nécessaire ensuite de s’atteler à différentes tâches, comme la supervision de la colorisation, la conception des bonus, les retouches graphiques, etc. En réalité, entre l’idée de départ du projet et sa sortie en album, il se sera écoulé environ… quatre ans (en sachant que le projet a stagné pendant un temps faute de dessinateur).

The Gutter et Le Sang des Héros sont tous les deux proches de la thématique des super-héros, est-ce ton genre de prédilection ?

En réalité, non, il s’agit d’un hasard si les deux projets d’envergure qui aboutissent à un an d’intervalle semblent liés thématiquement. Bien que j’aie une préférence pour le fantastique, j’ai écrit des nouvelles dans des genres bien différents (comédie, polar, historique, SF…).
De plus, Le Sang des Héros est certes basé sur les pouvoirs mais dans un cadre réaliste débarrassé du folklore super-héroïque (pas de costumes, d’identités secrètes, de "super-vilains"…). Et alors que The Gutter est dans le registre du décalage et de l’humour, Le Sang des Héros est une histoire sombre, tragique même, sur l’amitié, les excès liés à la nature humaine et les aspects négatifs générés même involontairement par tout système social organisé.

Littérature & Influences

Pourquoi te lancer dans les romans au lieu de continuer la BD ?

Parce que je n’ai jamais ambitionné de devenir scénariste de BD. ;o)
Certains parfois pensent également que je suis un "blogueur" qui s’est lancé dans l’écriture alors que c’est en fait exactement l’inverse. J’écris, de manière régulière, dans une optique professionnelle, depuis 2002. Mes premiers textes ont été publiés en 2006. J’ai donc lancé UMAC après, en parallèle. De la même manière, mes différents travaux en tant que rédacteur ou correcteur ne sont pas une fin en soi mais une activité complémentaire nécessaire (sur le plan financier, mais également enrichissante et en connexion directe avec l’édition en général).
The Gutter me tenait à cœur parce qu’il s’agit d’une sorte de commentaire amusé sur les habitudes et tics des auteurs et éditeurs de comics. La forme dessinée était la plus appropriée pour un tel sujet, mais la plupart du temps, mes récits se développent naturellement sous forme de nouvelles ou romans, support qui me laisse un maximum de liberté en tant qu’auteur.

D’où te viennent tes idées de récit ? / Une bonne imagination est-elle indispensable pour un écrivain ?

Au risque de surprendre, non, l’imagination n’est pas selon moi la qualité principale du conteur (scénariste ou romancier). Tout le monde imagine des histoires (peut-être moins une fois adulte, mais on l’a tous fait étant enfant). Le propre de l’écrivain, c’est de faire en sorte de les rendre agréables, intéressantes, de les développer avec un savoir-faire technique (réel bien que transparent, à l’inverse d’autres domaines artistiques comme la musique, où la technique est plus évidente et perçue même par un profane).
Mes sources d’inspiration sont nombreuses, la musique, les faits divers, la science, l’Histoire sont autant de domaines permettant de trouver une thématique ou simplement une anecdote, un élément, venant enrichir une scène ou un personnage.

Quelles sont tes influences ?

Stephen King, qui est selon moi le maître, non de l’horreur, comme certains journalistes le prétendent, mais de la construction de personnages et de l’émotion. Son style est imparable, sa plume magique. Son cycle de La Tour Sombre est à lire absolument, tout comme Le Fléau, Ça ou encore Dôme. Mais chaque King est bon à prendre en réalité.
Le 1984 d’Orwell reste pour moi un monument de l’anticipation dystopique. Les éléments qui sont développés par l’auteur, à commencer par la novlangue ou la doublepensée, sont d’une intelligence remarquable.
Des Fleurs pour Algernon, de Daniel Keyes, est un classique bouleversant.
Et comment ne pas citer Philip K. Dick, auteur inspiré de romans tels que Le Maître du Haut Château ou Ubik ?
Mes goûts en matière de romans sont très éclectiques, cela peut aller de l’heroic fantasy réalisto-crade d’Abercrombie, aux polars rugueux du genre Bull Mountain de Panowich ou Une Contrée Paisible et Froide de Lindemuth, en passant par les romans "de gare", bardés de défauts, d’un Koontz. J’aime beaucoup aussi Pierre Lemaître, dont le Goncourt est tout à fait mérité et dont les polars sont des modèles de construction.
En ce qui concerne la BD, notamment américaine, j’apprécie la finesse d’un J.M. Straczynski ou le côté "trash intelligent" d’un Garth Ennis.

Qu’est-ce qui te plaît le plus dans l’écriture ?

J’aime l’aspect magique de l’écriture, la possibilité de créer de véritables émotions, à distance, chez un parfait inconnu, à l'aide d'un peu d’encre et de papier. Cela relève à la fois du bricolage et de la sorcellerie. Une sorte de noble artisanat en quelque sorte.
Et puis, il faut bien le dire, les fictions sont souvent plus belles que le réel. Même si elles ne doivent pas supplanter la réalité mais aider à la supporter.
J'aime surtout, en tant que lecteur, ce moment où l'on est obligé de tourner la page, où l'on est "dedans", surexcité, fébrile, totalement conquis et immergé. C'est ce point de non-retour que j'essaie d'atteindre en tant qu'auteur. Ce basculement essentiel où l'on parvient à tout emporter.
Mais ce n'est jamais gagné. C'est cela aussi qui est passionnant. Il n'y a pas de recettes. On sait en gros ce qu'il ne faut pas faire, mais le reste dépend de tellement d'éléments que tenter de totalement rationaliser l'écriture revient à tenter de prévoir la météo. On peut faire semblant de le faire, mais dans les faits, c'est impossible.

Technique & Édition

Quelles études faut-il suivre lorsque l’on veut devenir écrivain ? (question qui revient souvent de la part des plus jeunes)

A priori, on pourrait dire un cursus littéraire, mais il n’y a en réalité pas vraiment de règles. Certains auteurs de best-sellers ont suivi des études scientifiques ou économiques. C’est donc plus une question d’appétit (féroce) pour la lecture et de séances d’écriture régulières.
Il existe quelques ouvrages se penchant sur les éléments techniques de l’écriture, comme The Writer’s Journey de Christopher Vogler ou Character & Viewpoint de Orson Scott Card, voire même On Writing de Stephen King (plus anecdotique). Cependant, même si ces livres synthétisent des éléments importants, ils ne constituent en aucune façon des manuels permettant de "bien écrire".
Chaque auteur suit une Voie qui lui est propre et construit patiemment son style. Pour cela, il n’y a pas de filière spécialement recommandée (à part peut-être si elle vous permet d’avoir un bon travail à côté, car l’on ne devient pas riche – ou très rarement – en écrivant des livres).

Tu sembles ne plus participer aux concours littéraires depuis plusieurs années, pourquoi ?

D'abord parce que la plupart des concours sont destinés aux écrivains amateurs, une fois que l'on a été édité à compte d'éditeur, il n'est plus possible de participer. Mais surtout parce que les concours ont été pour moi une sorte de passage obligé. J'avais inconsciemment besoin que l'on "m'autorise" à écrire. La publication de nouvelles dans des magazines que je jugeais respectables, ou encore le fait de décrocher un podium dans des concours réputés, organisés par des auteurs ou éditeurs sérieux, m'ont permis de passer un cap.
Bien qu'il n'en sache rien, c'est surtout Alain Absire qui m'a permis, avec une petite phrase dont il ne mesurait probablement pas l'importance sur le moment, de prendre définitivement le large et de me considérer comme un auteur à part entière. Ce fut une rencontre fugitive mais ô combien importante.
Je n'ai plus aujourd'hui l'envie de "prouver", juste la certitude d'avoir quelques histoires à raconter. Si elles trouvent un écho favorable, tant mieux, mais je suis maintenant si "loin dans le sang", pour paraphraser Shakespeare, qu'un retour en arrière me serait aussi pénible qu'une fuite en avant.

Que penses-tu de l’auto-édition ?

Ça a le mérite d’exister. Personnellement, je ne l’ai jamais envisagée et reste très circonspect quant à son intérêt.
Même chez un éditeur important, disposant d’un réseau de diffusion et distribution, un premier roman d’un auteur inconnu va se vendre à quelques centaines d’exemplaires seulement. En se lançant seul dans l’aventure éditoriale (chronophage et demandant tout de même une certaine expérience), un auteur va au-devant de grandes difficultés. L’auto-édition demande un investissement financier (ne serait-ce que pour les coûts d’impression), il faut gérer les stocks, effectuer l’enregistrement des ouvrages dans les différentes banques de données, tenter de les placer dans quelques librairies, s’occuper de la promotion, tout cela sans contacts, sans forcément les connaissances suffisantes. Et surtout, l’auto-édition prive l’auteur du travail en amont, en collaboration avec l’éditeur, permettant d’améliorer l’œuvre avant publication. Et, pire, les livres ne seront de toute façon disponibles nulle part. Il va falloir que l'auteur, en plus de son job alimentaire, assume un travail éditorial puis se transforme en VRP, ou colporteur, pour tenter de récupérer quelques euros dans le moindre salon. Ce n'est pas ma conception du métier.
Il n’est pas facile de trouver un éditeur sérieux, bénéficiant d’une réelle expérience, disposant d’un réseau, proposant un contrat honnête, mais c’est pourtant le meilleur choix possible. L’auto-édition, même si elle peut être justifiée parfois dans le cas de projets très particuliers, est trop souvent un signe d’impatience plutôt qu’un choix réfléchi.
Pour prendre un exemple concret, il m’a fallu un an et demi pour écrire Le Sang des Héros et deux ans et demi pour trouver un éditeur, ce qui est encore un délai très raisonnable (en sachant que les envois coûtent chers et qu’il est impossible de les multiplier sur un seul mois). Je ne voulais tout simplement pas revoir mes critères à la baisse (en gros, trouver un contrat à compte d'éditeur, avec une maison d'édition expérimentée et disposant d'un distributeur).
L’apprentissage de l’écriture se compte en années, tout comme l’aboutissement d’un projet, de sa conception à sa publication. Le temps éditorial est un temps particulier, il faut s’armer de patience et penser sur le long terme, les raccourcis ne sont pas toujours une bonne solution. Si vous écrivez de la SF, des polars, du fantastique, il n'y a aucune raison de tomber dans l'auto-édition, il existe des tas de maisons sérieuses qui publient ce genre de livres.

Es-tu favorable au développement du format numérique en ce qui concerne les livres ?

Pour les romans, oui. C’est une évolution logique, inéluctable et très pratique (surtout quand on lit beaucoup). Je n’étais pas très chaud au début, mais la qualité des liseuses (notamment le Kindle) m’a convaincu. En France (contrairement à l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne…), les prix des romans numériques sont souvent (cela dépend des éditeurs) maintenus à un niveau artificiellement élevé que rien ne justifie. Cela reste néanmoins moins onéreux que le format papier et, avec un confort de lecture égal, cela permet aussi de bénéficier de véritables avantages pratiques.
Pour les BD, je suis moins convaincu, surtout parce que l’objet en tant que tel a une grande importance pour les collectionneurs.

Es-tu sensible à la critique ?

Tout dépend de ce que l’on entend par "critique".
S’il s’agit d’un simple "j’aime/j’aime pas", non, pas vraiment. Bien entendu je préfère qu’un lecteur me dise qu’il a aimé l’un de mes récits, mais il est normal qu’ils ne conviennent pas à tout le monde.
Je suis par contre plus sensible aux critiques techniques qui pourraient éventuellement mettre en avant une erreur, une faille (incohérence, coquille, effet raté…). Ces critiques-là sont évidemment intéressantes lorsqu’elles nous permettent de prendre conscience d’une maladresse, toujours possible même si nous (mes éditeurs et moi-même) faisons en sorte de travailler suffisamment en amont pour que ce qui est publié soit le plus abouti possible.

Justement, ton meilleur souvenir de critiques positive et négative ?

J'ai eu la chance d'avoir énormément de retours très positifs, de la part de la presse ou de particuliers. Je suis surtout content quand je me rends compte qu'un journaliste ou un lecteur a été un peu plus loin que le pur récit de divertissement et qu'il a compris la thématique et le propos qui sous-tendent l'histoire.
Au niveau du pire... je ne vais pas citer précisément la source, c'est de toute façon une publication amateur totalement confidentielle. Un type s'est lancé dans une critique vraiment "à côté de la plaque" de mon roman Le Sang des Héros. Un ramassis incroyable d'erreurs, de mensonges et de fausses déductions. Par exemple, parmi les opinions personnelles scabreuses, concernant le personnage du lieutenant Moore, il expliquait que "cet officier sadique est le double évident du sergent instructeur Hartman dans le film de Kubrick, Full Metal Jacket". Or, pas du tout. Hartman, dans le film de Kubrick, n’est pas sadique déjà. C’est un type dur, aux méthodes encore plus dures, mais qui sait que cette dureté à l’entraînement sauvera des vies sur le terrain. Hartman, c’est un très bon professionnel. Moore, dans mon roman, n’est pas plus qu’Hartman un sadique. Par contre, c’est un incapable. Il occupe un poste pour lequel il n’a aucune qualification. Et comme toute personne faisant face à son impéritie, il en fait des tonnes, en improvisant, en gueulant, en essayant d’avoir les signes extérieurs de l’assurance qu’il est incapable d’éprouver. Il n’y a pas plus éloigné d’Hartman, professionnel parfaitement à sa place, que Moore. L'auteur de cette critique revenait aussi sur l'aspect uchronique, en disant qu'il n'était pas bien traité, sous prétexte que l'histoire contient de nombreuses références connues (Britney Spears ou Scarface par exemple). Mais c'est tout le propos du roman ! Montrer ce qui se passerait dans un monde très proche du nôtre si des individus dotés de pouvoirs étaient monnaie courante. Le type croyait d'ailleurs avoir trouvé une preuve infaillible de ma maladresse en évoquant Full Metal Jacket, qui est cité (rapidement) dans le roman et qui, selon lui, ne pouvait pas exister puisque, dans ce monde parallèle, la guerre du Vietnam n'a pas eu lieu. Mais, dans une uchronie, tout est possible. Il n'est fait référence, dans le roman, qu'à la première partie (l'entraînement) du film de Kubrick. La seconde partie peut très bien être inexistante dans ce monde, ou être consacrée à tout autre chose.
Bref, j'avais trouvé cette analyse lamentable. Je me demande encore aujourd'hui si ce gars (auteur lui-même) était simplement de mauvaise foi ou vraiment incapable de comprendre ce qu'il lisait. Mais bon, c'est le jeu. Et il vaut mieux ne pas trop s'attarder sur ce que l'on ne peut maîtriser.

Ton avis sur le téléchargement illégal ?

Que cela concerne les livres, la musique ou les films et séries, je suis évidemment contre.
Comme beaucoup, au début, j’ai téléchargé avec frénésie, sans me poser de questions, parce que j’avais accès à des œuvres "gratuites". Pourtant, en y réfléchissant, je me suis rendu compte de l’importance de l’acte et des conséquences réelles sur les artistes.
En général, les gens qui justifient ce genre de pratiques évoquent deux arguments.
D’une part, le prix trop élevé des biens culturels. À cela je réponds que le prix des Mercedes est élevé aussi et il ne me vient pourtant pas à l’idée d’en voler une.
D’autre part, le "droit d’accès" à la culture. Bon, faut pas déconner, télécharger le dernier Harry Potter ou un album d’Iron Maiden (que j’apprécie), cela ne me semble pas relever d’une soif inextinguible de culture. Non seulement il existe des œuvres gratuites, tombées dans le domaine public, mais mieux encore, les bibliothèques et médiathèques, très nombreuses et bien fournies, permettent un accès légal et gratuit à un tas de livres, BD, films, etc. Il est même possible de demander ce qui n’est pas forcément disponible immédiatement. Même si la rémunération des auteurs par ce biais est un peu complexe (voire aléatoire), elle a le mérite d’exister et d’être préférable au vol.
Ce n’est pas parce que dépouiller les auteurs (déjà peu rémunérés) est facile que c’est acceptable. Et à long terme, cela ne peut aboutir qu’à une catastrophe (si demain, l’on peut télécharger gratuitement les croissants de votre boulanger, je vous assure qu’il cessera rapidement d’en produire).

UMAC & Divers

Que penses-tu des rencontres avec les lecteurs ?

Tout dépend, les salons sont par exemple différents des dédicaces en librairie.
De manière générale, même si j’estime normal de participer à ce genre de manifestations, j’avoue que ce n’est pas l’aspect du métier qui me fascine le plus. ;o)
Je suis un peu casanier, voire asocial, ce qui ne fait pas de moi un commercial né. Ayant moi-même horreur de ça, je ne cherche jamais à "alpaguer" le passant par exemple (on ne peut pas forcer la main d’un lecteur), mais si l’on vient me poser des questions sur mon travail, j’y réponds avec grand plaisir.
Les salons sont souvent l’occasion également de rencontrer des collègues, d’autres auteurs et éditeurs. Cela permet de briser un peu l’isolement propre à l’auteur (d’autant que tous mes autres jobs se font en télétravail depuis des années).

UMAC est-il encore pour toi une priorité ? / Le site va-t-il perdurer ?

UMAC n’a jamais été pour moi une "priorité", ceci dit, cela ne nous empêche pas de fêter, en 2020, notre quinzième saison et d’aligner plus de 2400 articles et dossiers. Et par "article", j’entends des chroniques argumentées, illustrées, soignées.
Nous ne gagnons rien avec UMAC (par choix, je refuse que la ligne éditoriale soit influencée par des partenariats ou de la publicité) mais nous ne perdons pas d’argent non plus. Il n’y a donc aucune raison pour que le site disparaisse. Seul le rythme de publication peut éventuellement varier, mais j'ai toujours, depuis le départ, privilégié la qualité à la quantité.
Avec l’ouverture du site vers des domaines artistiques divers et l’arrivée de nouvelles plumes, plus que jamais UMAC semble non seulement en bonne voie mais également une forme de réponse alternative aux usines à news dont le contenu est régi par les accointances et la recherche de l’affluence.
J’ai souvent revendiqué, en ce qui concerne UMAC, la filiation spirituelle avec Hebdogiciel, je continue de le faire. Au moins sur la liberté de ton. Quant à notre sérieux, chacun en jugera.
Nous sommes un drôle de groupe, un assemblage hétéroclite d’auteurs, graphistes, profs, journalistes, passionnés, mais le résultat me plaît bien. Parce qu’il est honnête et ne se retrouve, à mon sens, nulle part ailleurs.
Et puis UMAC m’a apporté trop de choses, indirectement, pour que j’en vienne à le bazarder un soir de déprime.

Il paraît que tu es diplômé de Yale, Lord écossais, cardinal et docteur en métaphysique... heu, tu peux nous expliquer ça ?

Ça paraît farfelu mais c'est rigoureusement exact. J'ai suivi un cours en ligne il y a quelque temps, du contenu proposé par l'université de Yale, ce qui m'a permis d'obtenir un diplôme – inutile donc totalement indispensable – en Science of Well-Being. Je peux maintenant rendre n'importe qui heureux. En ce qui concerne ce titre de Lord, il faut savoir qu'en Écosse, les titres de noblesse sont liés à la possession de terres, j'ai donc acheté un minuscule lopin il y a quelques années afin de devenir Seigneur de Glencoe (ce qui m'a permis d'adopter par la même occasion la devise "Avec Glencoe, démarrez plein pot !", bravo à ceux qui ont la référence). J'ai découvert ensuite qu'une très officielle religion avait été bâtie autour du Dude (le personnage issu de l'excellent film The Big Lebowski). Et que ferait une personne saine d'esprit en apprenant une telle nouvelle ? Je l'ignore, mais moi en tout cas, je me suis fait ordonner prêtre de ladite religion. Celle-ci permettant de choisir son titre, j'ai opté pour "cardinal" (autant choisir un truc un peu ronflant). Enfin, j'ai obtenu un doctorat décerné par l'Abide University. Là encore, il s'agit d'un titre parfaitement authentique même s'il y a une petite subtilité. Il arrive très régulièrement que des célébrités (Ben Affleck, Jon Bon Jovi ou J.K. Rowling par exemple) obtiennent des distinctions purement honorifiques. Cela ne sanctionne pas un parcours universitaire, mais cela permet d'utiliser officiellement le titre de "docteur". Or, certaines institutions se montrent parfois plus généreuses que d'autres dans la délivrance de tels documents. Du coup, après quelques démarches, hop, me voilà docteur honoris causa ! Et je ne compte pas m'arrêter en si bon chemin. Il me reste maintenant à trouver un moyen de devenir Empereur de Moselle, je suis certain qu'il doit être possible de faire valider ça quelque part.